CHAPITRE XVI

La rencontre se termina sans réel vainqueur. Il n’y avait plus rien à faire, sinon partir chacun de son côté. Obi-Wan resta en compagnie de Qui-Gon. Bien que le Jedi ait tenu bon durant la rencontre, son front était baigné de sueur et le garçon imaginait l’effort qu’il fournissait pour ne pas perdre connaissance.

– Je viendrai vous voir dans votre cabine, lui dit-il.

Le Jedi ne répondit pas. Il devait vraiment être à bout de forces.

Lorsque Qui-Gon atteignit le couloir menant à sa cabine, ses yeux étaient devenus vitreux et son pas mal assuré. Il était heureux qu’Obi-Wan soit avec lui. À quelques mètres du but, ses jambes se dérobèrent, Obi-Wan prit aussitôt son bras pour le soutenir.

– Ça ira ? s’inquiéta le garçon.

– Ça… ira, fit le Jedi d’une voix faible. Dans quelques instants. Il faut… que je me concentre.

Obi-Wan l’aida à regagner sa cabine et attendit qu’il se soit assis. Depuis leur confrontation avec Jemba, un plan s’était peu à peu développé dans sa tête. Mais cette fois-ci, il allait en faire part à Qui-Gon. Il ne commettrait pas deux fois la même erreur.

– Maître Jinn, commença-t-il, j’ai une idée. Je vais retourner dans les conduits sur le territoire d’Offworld. Maintenant, je connais la disposition des lieux. J’attendrai que Jemba soit seul, puis je le prendrai en embuscade.

Qui-Gon ferma les yeux comme si la suggestion d’Obi-Wan lui était aussi douloureuse que ses plaies.

– Non, je te l’interdis.

Obi-Wan l’avait impressionné par la façon dont il avait retourné la situation face aux mineurs et par la dignité avec laquelle il avait battu en retraite. Et maintenant, il échafaudait à nouveau des plans fous. Il laissait son enthousiasme obscurcir son jugement.

Bien sûr, le Jedi devait admettre que les plans du jeune garçon n’étaient pas plus hasardeux que certains qu’il avait lui-même imaginés dans sa jeunesse. Et pourtant, l’étendue de sa déception l’étonna. Pourquoi se laissait-il surprendre par ses sentiments vis-à-vis de ce garçon ?

D’un geste las, Qui-Gon se leva de son fauteuil. Soudain, son épaule parut s’embraser. Il avait réussi à maîtriser la douleur, mais maintenant, elle prenait sa revanche.

– Écoutez, reprit Obi-Wan, vous êtes blessé. Vous ne pouvez vous battre, pas pour l’instant. Mais moi, je peux m’en charger ! Je suis capable de dominer ma colère pour régler cette situation. Si Jemba était mort…

– Cela ne changerait rien, répliqua le Jedi d’un ton las. Tu ne comprends donc pas ? Tuer Jemba ne résoudra rien. Ce n’est qu’un Hutt. Il en viendra d’autres, tout aussi maléfiques et avides que lui. S’il venait à disparaître, un autre comme lui, voire pire encore, prendrait sa place et poursuivrait ses plans. La solution, c’est de convaincre ces gens que…

– Mais c’est un méchant, non ? demanda Obi-Wan.

– Ce qu’il tente de faire est mal, répondit Qui-Gon avec prudence.

– Moi, je n’ai jamais vu un être aussi mauvais !

Qui-Gon eut un petit sourire triste.

– Et as-tu beaucoup voyagé, mon jeune ami ?

Obi-Wan se tut. Il avait tant à apprendre. Son cœur lui disait que Jemba était le Mal incarné et qu’il voulait asservir des victimes innocentes. Si quelqu’un méritait un destin funeste, c’était bien ce Hutt. Mais il écouta Qui-Gon.

– J’ai vu bien pire, continua le Jedi. Si tu comptes le tuer par colère, tu dois savoir que ces pensées viennent du Côté Obscur.

– Alors comment peut-on l’obliger à rendre le dactyl qu’il a volé ? demanda Obi-Wan.

– Nous ne le pouvons pas. On ne peut forcer les gens à être justes. Une telle qualité doit venir de l’intérieur. Pour l’instant, mieux vaut attendre. Jemba changera peut-être d’avis. Ou peut-être rencontrera-t-il un destin plus sinistre encore. Dans les deux cas, l’exécuter n’est pas une solution.

– Pourtant… Vous avez déjà tué, n’est-ce pas ? demanda Obi-Wan d’un ton hésitant.

– En effet, reconnut le Jedi, lorsque je n’avais pas d’autre choix. Mais ce n’est qu’une maigre victoire. Il y a de plus grandes batailles à remporter – celles du cœur. Parfois, à force de patience et de raison, en donnant le bon exemple, j’ai gagné bien plus : j’ai retourné l’avis de mon adversaire, qui est devenu mon allié.

Obi-Wan réfléchit aux paroles du Jedi. Malgré sa faiblesse et sa douleur, il prenait le temps de lui expliquer son raisonnement. Hier seulement, il lui aurait jeté un ordre sec avant de le renvoyer. Depuis, quelque chose avait changé.

– Vous me mettez à l’épreuve, n’est-ce pas ? demanda Obi-Wan. Vous avez changé d’avis. Vous considérez la possibilité de faire de moi votre Padawan.

Il tenta de ne pas paraître trop enthousiaste. Qui-Gon secoua la tête.

– Non, dit-il fermement. Ce n’est pas moi qui te mets à l’épreuve, mais la vie elle-même ! Chaque jour, elle t’offre une nouvelle occasion de vaincre ou d’être vaincu. Et si tu réussis l’épreuve, cela ne fait pas de toi un Jedi, mais un être humain.

Obi-Wan recula comme si Qui-Gon l’avait giflé. Il comprit qu’il se berçait d’illusions. Il croyait qu’il avait accepté la décision du Jedi et qu’il cherchait juste à gagner son respect. Au fond de lui, il gardait l’espoir que, s’il faisait preuve de bravoure, Qui-Gon changerait d’avis.

Maintenant, la terrible vérité lui apparaissait.

Le Jedi lut dans les yeux d’Obi-Wan que celui-ci avait enfin compris que sa résolution était définitive. Il aurait dû se sentir soulagé. La colère du jeune garçon s’était apaisée, mais quelque chose d’autre l’avait quitté : tous ses espoirs venaient de partir en fumée.

Il le vit se détourner et s’essuyer les yeux. Il pleurait, semblait-il ! L’avait-il blessé si profondément ?

Non, lorsque Obi-Wan pivota vers lui, le Jedi vit qu’il s’était contenté d’éponger son front couvert de sueur. Pas une larme ne brillait dans ses yeux. Mais sa détresse le frappa. Après tous ses nobles discours sur la façon de gagner le cœur de ses ennemis, Qui-Gon réalisa qu’il venait de briser celui d’un garçon qui voulait juste devenir son allié.